Mois de piété et de ferveur mais aussi de distraction et de farniente, Ramadan implique à Kairouan un changement de rythme dans la vie des citoyens, sobres pendant la journée et de bonne humeur le soir dans les souks et les différents quartiers où il se passe toujours un événement festif.
En fait, le mois saint est traité comme un invité de marque qu’on tient à accueillir avec les honneurs dus à son statut de mois sacré pour lequel on s’évertue à assurer les meilleures conditions de séjour.
D’habitude calme et silencieuse, la cité aghlabide se transforme en destination festive entre la multitude de festivals et d’activités religieuses et culturelles multidisciplinaires. D’ailleurs, parmi les lieux très fréquentés au cours de Ramadan, figurent les nombreuses mosquées qui connaissent une vaste campagne d’embellissement et de rénovation. Les fidèles y viennent tous les soirs pour faire la prière des trawih ayant une valeur particulière en ce mois de méditation et assister aux différentes causeries religieuses, à la narration du hadith et aux concours de mémorisation et de psalmodie du Coran. Toutes ces activités confirment, une fois de plus, leur identification à l’islam en tant que religion de tolérance et de solidarité.
Notons que le volet religieux comprend cette année la programmation dans toutes les délégations du gouvernorat de 10.000 conférences théologiques, de causeries et d’évocation du hadith.
Le volet culturel comprend 500 activités et manifestations d’animation variées qui créent une bonne ambiance dans les zones les plus reculées.
Coups de canon et son du tambour
Outre les coups de canon quotidiens, l’un pour annoncer le début du jeûne, le second pour annoncer sa fin, on aime bien écouter les haut-parleurs des mosquées et la diffusion d’extraits du Coran, cela sans oublier le tabbel qui, à l’approche de l’aube, réveille les citoyens au son du tambour afin qu’ils prennent leur collation du s’hour avant l’imsak et la prière d’El Fejr.
Fethi, 59 ans, aime bien perpétuer cette vieille tradition malgré l’existence de nos jours de réveils et de portables : «Je suis heureux d’exercer ce métier provisoire dont j’ai appris toutes les techniques de fabrication, surtout en ce qui concerne le remplacement de la peau de chèvre, une fois usée. Et même si en hiver ou en automne, je suis parfois confronté aux intempéries, j’éprouve un grand plaisr à réveiller les citoyens qui sont très reconnaissants et qui trouvent que Ramadan sans les sons de la «tabla» ressemble à un Ramadan dans une ville européenne. De plus, beaucoup d’enfants des quartiers populaires me suivent dans mes tournées, tapent des mains et m’encouragent dans ma besogne. D’ailleurs, l’accueil des citoyens au sein de leurs foyers pendant l’Aïd est très chaleureux…».
Par ailleurs, en fin d’après-midi, dans les souks au sein de la Médina, l’animation grandit à l’approche de la rupture du jeûne. Partout des étals à pain aux différentes variétés (aux olives, aux oignons, à l’huile, complet, tabouna, etc.), de fruits secs et de montagnes de maqroudh. Ce qui incite les pères de famille à s’adonner à des achats compulsifs. Même les boulangeries sont assaillies par les amateurs du bon pain et on n’hésite pas à pénétrer à l’intérieur tout près du four et des lieux de pétrissage.
Les femmes, de leur côté, essaient, par tous les moyens, de réussir leurs engagements professionnels et la préparation du festin ramadanesque qui varie tous les jours entre les chorbas, hlalems, vermicelles, bricks, tajines, grillades, salades, couscous à l’agenau, nwasser, riz au poulet, marqa hloua et mermez… Cela sans oublier le repas du shour, composé de lait, yaourt, banane, mesfouf, bssissa ou sorgho.
Et à partir de la 15e journée du mois de Ramadan, on s’active dans tous les foyers en prévision de l’Aïd Esseghir et des préparatifs pour la confection de pâtisseries traditionnelles, dont la ghraïba à base de sorgho ou de pois chiche, et le makroudh aux dattes, aux fruits secs et aux grains de sésame.
On ne vit que la nuit
D’un autre côté, la plupart des commerçants changent leurs horaires de travail, réduisent leurs activités diurnes et font la grasse matinée. Même les bains-maures ouvrent leurs portes après la rupture du jeûne pour accueillir les clientes.
Quant aux cafés qui sont fermés toute la journée, ils grouillent de monde le soir, on s’y installe pour humer l’atmosphère nocturne, goûter à une certaine douceur de vivre en sirotant un thé à la menthe, en fumant le narguilé, en écoutant de la musique, en plaisantant avec les amis et en jouant aux cartes, et ce, jusqu’à 2 heures du matin. Par ailleurs, tous les soirs, à partir de 21h00, ce sont les ruelles de la Médina qui sont envahies par les jeunes et les moins jeunes. Des rencontres et des discussions ont lieu dans les boutiques des coiffeurs, des épiciers, des bijoutiers, des photographes ou des menuisiers.
Et avant de rentrer chez soi, on n’oublie pas de se rendre aux marchands de zlabias et de mkharek, dont les odeurs exquises sont irrésistibles et chatouillent les narines.
A part cela, beaucoup de familles préfèrent passer les longues veillées ramadanesques à la maison afin de partager avec leurs enfants les plaisirs de la table, tout en regardant les feuilletons télévisés.
Un élan de solidarité
Et dans le cadre de l’élan de solidarité et de générosité, certains citoyens prennent en charge alimentaire des familles nécessiteuses, et ce, malgré la cherté de la vie et la baisse du pouvoir d’achat, car Ramadan déclenche chaque année un optimisme intérieur spirituel et social, surtout lors de la Nuit du destin (le 27 du mois de Ramadan) où on procède au mausolée du Barbier à la circoncision gratuite de centaines d’enfants.
Par ailleurs, deux restaurants d’iftar ont été aménagés à Kairouan par le comité régional de solidarité relevant de l’Utss, au profit de 200 personnes dans le besoin, sans oublier celles qui préfèrent rompre le jeûne chez elles et qui sont au nombre de 150.
En outre, les scouts offrent chaque jour des repas d’iftar à 500 citoyens.